C’est l’histoire improbable en 1945 de l’écrivain Son Vuong, détenu au bagne de Poulo Condore, au Vietnam, qui transforme l’archipel en "Etat neutre des insulaires de l’archipel d’An Minh". Après le coup de force en mars 1945 du Japon au Vietnam et la défaite en aout 1945, le régime colonial français ne contrôle plus rien. Le Vietnam est en marche pour son indépendance. Poulo Condore vit des événements que personne ne pouvait prévoir jusqu’au rétablissement de l’autorité coloniale.
C’est l’histoire improbable en 1945 de l’écrivain Son Vuong, détenu au bagne de Poulo Condore, au Vietnam, qui transforme l’archipel en "Etat neutre des insulaires de l’archipel d’An Minh". Après le coup de force en mars 1945 du Japon au Vietnam et la défaite en aout 1945, le régime colonial français ne contrôle plus rien. Le Vietnam est en marche pour son indépendance. Poulo Condore vit des événements que personne ne pouvait prévoir jusqu’au rétablissement de l’autorité coloniale.
Le bagne français de Poulo Condore, appelé maintenant Con Dao, construit en 1862 sur décision du vice-amiral Louis Adolphe Bonard, reste un terrible symbole de l’oppression coloniale en Indochine et plus précisément au Vietnam. L’archipel a une superficie de 75 km2. C’est peu et beaucoup à la fois. Il se trouve à 230 km de Saigon. A 185 km de Vung Tau (Cap Saint Jacques). L’île de la Grande Condore, elle-même, mesure 12 km de longueur sur une largeur de 2 à 5 km. C’est là que sont les installations principales du bagne. 16 îles de taille différente, Hon Con, Lon Nho, Hon Bay Canh, Hon Cau, Hon Bong Lan, Hon Vung, Hon Ngoc, Hon Trung, Hon Tai Lon, Hon Tai Nho, Hon Trac Lon, Hon Trac Nho, Hon Tre Lon, Hon Tre Nho, Hon Anh, Hon Em, entourent la Grande Condore. Un climat effroyable. Des tempêtes. Des maladies qui tuent. La violence. La faim.Ce 11 décembre 1945, au bagne de Poulo Condore, la température est étouffante. L’orage gronde. Un bagnard, un ancien, puisque toute autorité française au sein du bagne, a disparu depuis aout 1945, tourne en rond devant l’hôtel de la direction, autrement dit, la maison du directeur. C’est Truong Van Thoai (1908 ?-1987) écrivain, connu sous deux noms de plume, Van Nang et Son Vuong. Il serait né dans le village de Binh Nghi, (Tan Duan Dong), district de Tan Hoa, ancienne province de Go Cong, aujourd’hui commune de Binh Nghi, district de Go Cong Dong, province de Tien Giang.Vêtu d’une chemise blanche trop grande prise à un gardien, Il aurait voulu, pour faire un discours, réunir tous les prisonniers face à la baie de l’est. Près de la longue jetée en pierres qu’on baptisera après le départ des Français en 1954, le pont 914, du nombre des prisonniers sacrifiés pour sa construction. Une jetée qui accueille les navires transportant les détenus et le ravitaillement toujours insuffisant. Le chiffre des morts est inscrit sur le monument à l’entrée de la jetée. Son Vuong, ancien braqueur selon l’administration coloniale, se présente comme un nationaliste. Il a connu la prison de l’ile de Phu Quoc, de Pursat au Cambodge, d’autres aussi. Son Vuong est bien vivant et n’hésite pas à montrer son aplomb, renforcé par son image d’écrivain, respectée par les autres détenus, la plupart de droit commun. Les autres, politiques, sont partis. Mais partis dans quelles conditions ?Le gouverneur japonais de Cochinchine, Yoshio Minoda, après le coup de force japonais en mars 1945, a fait libérer tous les prisonniers communistes détenus au bagne de Poulo Condore, au camp de Nui Bara et à la prison centrale de Saigon, Chi Hoa. L’objectif, éviter la renaissance du système colonial français et encourager tous les mouvements nationalistes, quand bien même communistes. Pham Ngoc Thach, membre du parti communiste indochinois, marié à une Française, n’y est pas pour rien tout comme Tran Van Giau. Les Japonais, présents depuis 1942 à Poulo Condore, ont laissé toutefois les gardiens, les matas et les caplans en place. Sur ordre de Minoda, Le Van Tran, commis et ancien secrétaire du directeur du bagne, Tisseyre, a assumé tant bien que mal la direction. Les Japonais, vaincus, ont quitté l’archipel les 24 et 25 août 1945. Le 17 septembre 1945, le navire Phu Quoc et des jonques ont évacué des centaines de bagnards, organisés en milices, qui avaient ravi le pouvoir à Le Van Tra. Celui-ci ne pèse rien face au Vietminh et sauve sa vie en suivant ses consignes. Ton Duc Thang (1888-1980) fait partie des détenus libérés. À la mort de Ho Chi Minh, en septembre 1969, Thang lui succède à la présidence. Sa position est confirmée par l’Assemblée nationale élue en 1976. Il devient à 88 ans, le premier président du Vietnam réunifié après avoir survécu à 15 années passées au bagne de Poulo Condore.Revenons sur le contexte international.Le 9 mars 1945, les Japonais prennent donc le contrôle de toute l’Indochine, neutralisant et massacrant toutes les forces françaises mais aussi nombre de civils. La Kempetai s’illustre dans ses plus basses besognes. Pendant qu’au Tonkin, une terrible famine tue. Le mythe de la sphère de coprospérité de la Grande Asie anime encore l’état major japonais. Tout s’enchaîne. Le président Harry S. Truman (1884-1972) succède à Franklin Delano Roosevelt (1882-1945). le 12 avril 1945. Les articles 6 et 8 de la déclaration de Postdam du 26 juillet 1945 énoncent que les Japonais ont commencé la guerre. Celle-ci est qualifiée de guerre d’agression. Le 6 août, le B29 Superforteresse Enola Gay décolle de Tinian dans les îles Mariannes. Il largue la bombe A (uranium) Little Boy sur Hiroshima. Le 9 aout, Bockstar, autre B29, largue Fat Man (plutonium) sur Nagasaki. Les Soviétiques attaquent la Mandchourie. Le 15 août, l’empereur Hiro Hito annonce la capitulation dans un discours radiodiffusé. Les actes de la capitulation sont signés à bord du Missouri le 2 septembre 1945 dans la baie de Tokyo.Mais surtout, le 2 septembre 1945 est le jour où la déclaration d’indépendance, rédigée au désormais célèbre 48 rue Hang Ngang à Hanoi, est lue par Ho Chi Minh sur l’actuelle place Ba Dinh de Hanoi. Il cite La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution française de 1791. Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Ho Chi Minh ajoute que "nous sommes convaincus que les Alliés, qui ont reconnu les principes de l’égalité des peuples aux conférences de Téhéran et de San Francisco ne peuvent pas ne pas reconnaître l’indépendance du Vietnam".L’Histoire est en marche.Revenons au bagne de Poulo Condore. Il y a trop de prisonniers malades, souffrant de tout, l’esprit perturbé par tant d’épreuves. Ils ne comprennent rien aux événements politiques. L’absence de l’administration française depuis le coup de force des Japonais ne signifie pas recouvrer la liberté. Le Vietminh lutte pour asseoir son pouvoir à Hanoi. Il se déchaîne dans le sud avec ses satellites, sectes, syndicats, partis. Son Vuong apparaît comme une sorte de délégué du Vietminh à Poulo Condore sans forcément en être un. Il pense avoir l’art et la manière de rassurer ces détenus pour la plupart de droit commun. Il a un projet à leur proposer. Dans son esprit germe une idée de génie. Il propose de transformer le Comité exécutif, qui réunit juste quelques prisonniers, en gouvernement. Mais ce ne serait pas n’importe quel gouvernement. Ce serait le gouvernement d’un nouvel Etat : l’État libre, agricole et fraternel de Poulo-Condore, avec la devise "tous les hommes sont frères". L’archipel de Poulo Condore deviendrait "l’Etat neutre des insulaires de l’archipel d’An Minh", du nom du nationaliste admiré et reconnu comme un héros de la cause de l’indépendance du Vietnam. Le Vietminh est-il au courant ? Quand bien même, il l’apprend, la liberté s’impose.D’abord, Son Vuong a des arguments juridiques. Il connaît l’existence des traités qui ont donné naissance au bagne de Poulo Condore, créé par décret du 1 décembre 1962 du vice-amiral Louis Adolphe Bonard. Ce dernier a conclu le traité de Saïgon, le 5 juin 1862 entre la France, l’Espagne et l’empire d’Annam. Il est ratifié à Hué avec l’empereur Tu Duc le 16 avril 1863. Le traité du 28 novembre 1787 est, quant à lui, un traité d’alliance offensive, défensive et d’assistance militaire. Mais tout cet arsenal juridique est bouleversé par une commission juridique, établie par Napoléon III le 7 avril 1857, considérant le traité de 1787 comme nul et non avenu. Le traité du 5 juin 1862 est remplacé par le traité signé par le contre-amiral Dupré à Saigon le 13 mars 1874. L’argumentation à présenter aux prisonniers et peut-être futurs habitants du nouvel Etat, est simple. L’archipel de Poulo Condore a été subtilisé par le pouvoir colonial dans sa folie répressive.Celui qui porte ce raisonnement est un juriste. Vinh. Le manchot Vinh s’est porté candidat pour être ministre de la justice de l’Etat neutre des insulaires de l’archipel d’An Minh. Il dit qu’il va mourir un 12 avril d’un AVC comme Roosevelt et qu’il faut se dépêcher d’utiliser ses talents de juriste. Son Vuong sait qu’il est un peu dérangé. A cause des peines d’enfermement cellulaire. Il a tenté de s’évader deux fois. Comme si avec un seul bras, il avait une chance de s’en tirer. Son bras droit, il l’a laissé à 20 ans dans une tranchée dans l’Aisne en 1917. Un éclat d’obus. La gangrène. L’amputation sans anesthésie. Il faisait partie des dizaines de milliers d’Annamites mobilisés pour se battre contre les Allemands. Tous ses camarades de tranchée ont péri. Vinh se présente comme avocat. L’est-il vraiment, on ne sait pas. Il est originaire du nord du Vietnam. Il a une immense culture juridique et littéraire. Il parle français mieux que quiconque. Il se présente comme un prisonnier politique nationaliste. Ce qui est certain, c’est qu’il a étudié le droit à son retour de la boucherie de 14. Il tuerait sans hésiter le voleur de son "Recueil des Traités conclus par la France en Extrême-Orient" datant de 1902, écrit par Lucien de Reinach. C’est son livre de chevet. La France a volé Poulo Condore. Le nouveau royaume ne fait que se réapproprier l’archipel. C’est le slogan permettant à tous de comprendre la création du nouvel Etat.Voyons la pratique qui s’annonce bien tumultueuse.Son Vuong se présente comme moderniste tout en s’autoproclament Roi. Il prône la diversité. Il crée une nouvelle assemblée. Quatre membres élus et deux membres nommés. Un Etat neutre ? La neutralité ? C’est un concept qui lui plaît. Mais dans quelle mesure ? Le nouvel Etat ne serait d’aucune obédience politique ou religieuse ? Serait-ce un Etat laïc incarnant une rédemption, un amendement, une renonciation au crime, une repentance ? Quel modèle politique peut-il instaurer ? Une monarchie pure et dure, puisqu’il est Roi, une monarchie constitutionnelle puisqu’il pourrait être un Roi partageant le pouvoir, une république avec une constitution, en acceptant d’être un Roi symbolique, une démocratie avec des élections, un phalanstère ? Comment fonder ce royaume ? Avec une charte, une constitution, un référendum ? Faut-il suivre les traces de Auguste-Jean-Baptiste-Marie-Charles David, dit David de Mayrena, qui fut en 1888, sous le nom de Marie Ier, souverain éphémère du royaume des Sedangs et auteur d’une constitution ?Vis-à-vis du Vietnam, mère patrie, qui court vers son indépendance, que faut-il faire ? Proclamer également une indépendance ou une autarcie, une autonomie, une fédération ? Comment faire un référendum rapidement, avec des prisonniers dévorés par la faim, la fatigue, les maladies tropicales, l’envie d’en découdre entre eux, de régler leurs comptes, de raviver les clans, les groupes mafieux qui écumaient Saigon et Cholon ?L’archipel est une colonie agricole. C’est inscrit dans le règlement du bagne et dans les arrêtés des gouverneurs successifs. Cet objectif pourrait convenir. Il suffit de substituer le mot Etat au mot colonie. N’est-il pas prioritaire de manger à sa faim, après avoir conquis sa liberté ? Table rase de tout l’arsenal juridique concernant Poulo Condore est décidée. L’île peut garder sa vocation agricole mais elle n’est plus du tout un établissement pénitentiaire agricole, encore moins une colonie agricole. Plus personne n’est bagnard de droit commun ou prisonnier politique. Il y avait d’ailleurs tellement de droits communs aux aspirations politiques. Plus de fugitifs, d’évadés, traqués par la brigade de recherche composée essentiellement de Cambodgiens, puisque tout le monde est libre. D’ailleurs, où sont passés ces Cambodgiens qui tabassaient les évadés ?Mais le Roi veut-il les prérogatives d’un Etat, avec ses attributs, la nationalité, le droit de battre monnaie, de disposer d’une véritable souveraineté et d’une protection de ses frontières ? Les gouvernants, on les connaît dorénavant. Mais les gouvernés ? A part les prisonniers de droit commun, qui est susceptible d’habiter Poulo Condor ? Qui peut s’installer, vivre et travailler dans l’archipel ? Accueillir les habitants dans quel habitat ? Que faire des installations du bagne ? Comment nourrir la population ? Comment éviter les épidémies ? Comment éviter la malaria ? Comment même, constituer une force armée parce qu’un Etat a toujours un ennemi ?Le Roi discourt, promet, se projette, demande qu’on lui fasse confiance. Il cherche une compagne. Un Roi doit être marié avec une Reine et avoir une descendance. Il trouve la fille d’un gardien vietnamien, Huynh Hoa. Le père ne donne pas son accord. Bagarre. Couteau. On ne sait pas exactement. Un homme meurt. Qui l’a tué ? Les circonstances sont inconnues. Mais cet événement aura un impact dans la vie de Son Vuong.Le gouvernement français ignore ce qui se passe vraiment dans le lieu symbolisant le plus la répression coloniale en Indochine. Ce 11 décembre 1945, on apprend à la lecture du Monde, que le général de Gaulle demande à son ministre de l’Information, André Malraux, d’empêcher une grève dans les services publics. On apprend qu’un sous-officier de l’armée rouge, du nom de Bubin, chauffeur du chef du service de sécurité soviétique à Nuremberg, a été assassiné dans la voiture de ce dernier. De Gasperi a annoncé à 2 heures du matin qu’il avait soumis au prince Umberto, lieutenant général du royaume, la liste de ses collaborateurs. Ce sera le quatrième gouvernement italien depuis l’armistice de 1943. Mais, mieux, le Monde publie un article de Henri Magnan intitulé "qu’est-ce que l’existentialisme". Pendant que l’archipel de Poulo Condore devient une royauté indépendante.Pourtant, le bagne de Poulo Condore n’accueille pas seulement les condamnés indochinois. Rappelons le décret du 21 janvier 1940 fixant les mesures à prendre en Indochine à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Jean Decoux (1884-1963), gouverneur général de l’Indochine française du 25 juin 1940 au 9 mars 1945, prend un arrêté le 30 septembre 1943, pour créer aux Iles de Poulo-Condore un camp spécial de travailleurs destiné à recevoir les individus considérés comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. C’est la chasse aux Gaullistes et aux Francs-Maçons. Jean Decoux est arrêté le 1er octobre 1945 et emprisonné en métropole. Il est jugé par la Haute cour de justice et non par la Cour de justice de l’Indochine mais acquitté en 1949. La Cour de justice de l’Indochine a été créée par la loi du 11 mai 1946 relative à la répression des faits de collaboration et à l’indignité nationale pour les territoires formant l’Union indochinoise. Une loi supprimée par celle du 1er mars 1950, le tribunal militaire de Paris ou les tribunaux de droit commun de la Seine prenant le relais.Qui sont les ministres de cette France en quête d’une constitution, qui devraient un peu plus se soucier de la situation du bagne de Poulo Condore ? Adrien Tixier est ministre de l’intérieur du 10 septembre 1944 au 26 janvier 1946 sous De Gaulle I et II. Jacques Soustelle est ministre des colonies du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946 sous De Gaulle II. Ce deuxième gouvernement du général de Gaulle, formé le 13 novembre 1945, est notamment composé de cinq ministres communistes, Maurice Thorez, ministre d’Etat, Ambroise Croizat, ministre du travail, François Billoux, ministre de l’économie, Marcel Paul, ministre de la production industrielle et Charles Tillon, ministre de l’armement. Comment les ministres communistes réagissent-ils face à la volonté de Ho Chi Minh d’imposer l’indépendance ?Le Roi est inquiet. La France peut déporter à sa guise. Si elle revient à Poulo Condore, que fera-t-elle d’un Roi auto-proclamé déchu d’un archipel où le plus grand bagne de l’Indochine devait tuer à petit feux les prisonniers ? Le bagne de Poulo Condore date de 1862. Celui de Nouvelle-Calédonie de 1863. Celui de l’ile de Phu Quoc de 1881. Celui d’Obock près de Djibouti de 1886. Celui de Ndjolé au Gabon de 1887. Celui de Nosy Lava à Madagascar de 1911. Celui de Cayenne de 1852 et le territoire de l’Inini de 1930. La France a le choix pour éliminer n’importe quel bagnard indochinois, de droit commun ou politique, confondant volontairement les deux, sans même le mettre à mort. Il suffit de le faire disparaître au sein d’un de ses bagnes au bout du monde. Nul besoin aussi de transférer le bagnard. La réclusion cellulaire achève tranquillement le détenu, le rend fou, tellement ankylosé qu’il en devient paralysé, aveugle. Par décret du 8 septembre 1942, fait à Vichy, de Philippe Pétain, signé par le garde des sceaux, Joseph Barthelemy, l’article 24 du décret du 25 octobre 1914 a été modifié. Est puni de deux à cinq ans de réclusion cellulaire tout condamné aux travaux forcés à perpétuité qui à dater de son transfèrement, se rend coupable d’évasion. La même peine est appliquée au condamné à temps subissant déjà l’emprisonnement ou la réclusion cellulaire et qui se rend coupable du même fait. La peine sera la réclusion cellulaire pendant six mois au moins et trois ans au plus pour les condamnés à temps en cours de peine.Le Roi se promet de ne jamais plus se retrouver dans une cellule de ciment, à crever de faim. Ni de laisser ses amis ainsi.Mais comment la France exsangue peut-elle se réapproprier le Vietnam ? Le général Leclerc de Hautecloque, arrivé de Ceylan à Saigon le 9 octobre 1945, a fort à faire avec les Britanniques au sud et les Chinois au nord. Deux Etats de facto au sein du Vietnam séparé par le 16e parallèle.Le 18 avril 1946, deux compagnies d’infanterie coloniale débarquent de trois navires. La France veut réinstaurer sa souveraineté au besoin par les armes, partout en Indochine. Que des massacres tel celui de la cité Héraud à Saigon le 25 septembre 1945 ne se reproduisent pas. Le Roi est bien habillé. Il a demandé le calme à son peuple mais les apparences sont trompeuses. Les bateaux ont été repérés sous ce ciel bleu translucide, bien longtemps avant leur arrivée. Le drapeau français a même été hissé. Le Roi assure au lieutenant, interloqué de rencontrer un tel personnage, de sa coopération. L’évacuation des plus âgés, la pitié, la commisération, le pardon. Le Roi plaide avec l’aide de Vinh pour ne pas laisser les plus faibles agoniser dans un tel enfer. Le souverain est mis aux arrêts avec 400 autres détenus. Le règlement du bagne, faute de mieux, est remis en vigueur. Mais tout était préparé. Le Roi avait dressé des listes de prisonniers à évacuer en priorité. Quasi aveugle, après une première vie de bagnard contremaître à la décortiquerie de riz, Minh khoa ne veut pas quitter le bagne. La poussière lui a rongé les cornées. Il porte un bandeau pour ne pas se gratter. La femme de l’épicier chinois lui étale chaque matin un mystérieux onguent fait à base de plantes médicinales. Elle lui donne un sac rempli de ces plantes qui ne poussent qu’à Con Dao avant de l’accompagner à bord d’un des bateaux avec l’aide d’un soldat sénégalais. L’ex ministre de la justice, Vinh, part dans la joie, en promettant à Son Vuong de lui envoyer des colis et de saisir les juridictions compétentes. Il connaît l’empereur Bao Dai. C’est une question de mois. Il promet qu’il fera sortir le Roi de cet enfer. Vinh deviendra conseiller juridique du cercle de jeu et du gigantesque bordel qui deviendront le Grand Monde, avec Bay Vien. Cholon, la ville chinoise, est la vraie patrie de Vinh. Même le docte Amiral d’Argenlieu demandera quelques conseils à Vinh. Lépreux et tuberculeux en phase terminale restent à Poulo Condore. Le lieutenant leur donne juste un peu plus de nourriture.Son Vuong et Vinh ne peuvent se douter à quel point l’opportunisme politique et militaire s’impose. Le Général Tsuchihashi qui aurait dû être fusillé pour crimes de guerre, se voit incité à ordonner aux déserteurs japonais, qu’on nomme les stragglers, de se rendre. Christopher E. Gosha pense qu’il y a 2000 Japonais déserteurs faisant fonction d’instructeurs au service du Vietminh entre 1945 et 1950. Un véritable enfer pour l’armée française. L’amiral Lord Louis Mountbatten, commandant suprême allié de toutes les forces alliées en Asie du Sud-Est, a délégué au général Sir David Gracey le commandement de toutes les forces britanniques, françaises et japonaises, de la police, de toutes les autres organisations armées. Eh théorie car en pratique les sectes font bien ce qu’elles veulent. Le plus étonnant, ce sont les 5000 Japonais prêtant serment de servir le général Gracey en Indochine du sud. Ils sont affectés à la surveillance de plusieurs points stratégiques des villes de Saigon et de Cholon, comme l’aéroport Tan San Nhut, la gare, les installations portuaires. Gurkhas et Sikhs les toisent mais apprécient leur efficacité. Certains officiers gardent même leur sabre, symbole de leur autorité.Le 1 janvier 1946, l’empereur Hiro Hito renonce à sa divinité tout en restant descendant d’Amaterasu en tant qu’Arahitogami. Jamais le peuple japonais n’aurait songé à de tels bouleversements dans ses pires cauchemars.La plupart des Japonais condamnés à mort pour crimes de guerre, sont fusillés sur le champ de tir du quartier Virgile à Saigon. Un officier japonais prend une mèche de cheveux. Il coupe un auriculaire. Le tout est emballé et expédié à la famille au Japon. Certains condamnés à des peines de prison sont incarcérés à la prison de Sugamo à Tokyo sous contrôle américain. Ceux qui restent au Vietnam sont incarcérés à Saigon dans la prison de Chi Hoa. Mais aussi au bagne de Poulo Condore où ils sont assignés à des tâches de mécanicien ou autres. Le trafic des armes japonaises devient au nord et au sud de l’Indochine florissant. Armes que le Vietminh récupère par tous les moyens.En mai 1946, la prison centrale de Saigon, Chi Hoa, envoie au bagne de Poulo Condore 300 prisonniers dont 56 condamnés à mort. Ainsi que 22 miliciens capturés sur l’archipel de Cô Tô, en face de Hong Gai lors d’une opération au Tonkin. Le directeur Gimbert est remplacé le 3 septembre 1946 par le capitaine Hornecker. En 1946, on compte 784 détenus. Les sabotages visant à bloquer toutes les activités économiques, agricoles, de pêche, de la centrale électrique, sont nombreux. Tout comme les projets d’évasion, les rixes, les rebellions. Les détenus se réorganisent.Le Roi continue de négocier des améliorations avec les différents directeurs. Vinh lui manque énormément. Il aurait été libéré en 1963, après avoir purgé une peine complémentaire pour le meurtre du fameux témoin du mariage. Le Roi serait revenu finir sa vie à Saigon et aurait vécu tranquillement dans un Vietnam en proie à d’autres bouleversements.Dans ses mémoires "Sang et Larmes", Son Vuong écrit : "parce que je ne pouvais pas refuser la délégation du Viet Minh, et aussi parce que je n’avais pas le droit d’échapper à mes devoirs civiques lorsque le pays était en difficulté, j’ai été obligé de prendre temporairement la dette de Con Dao, puis de trouver un moyen de m’échapper, et non de prendre le pouvoir ou de m’accrocher au pouvoir comme les gens le pensaient."C’est là où la politique et l’Histoire s’emmêlent, pour participer probablement à une légende.Ce qui est certain, c’est que le bagne de Poulo Condore et sa cruauté n’étaient pas une légende. Les souffrances inutiles seront innombrables, faute de discernement des autorités politiques françaises. Tout le monde a compris que le drame est inscrit dans les flots de Poulo Condore et qu’il frappera bientôt tout le Vietnam, entraînant la France coloniale dans les pires moments de son histoire.Son Vuong continue à écrire jusqu’à son dernier souffle. L’écriture, c’était sa vraie vie. Pas la politique. Celle-ci, disait-il, happe comme le requin. Alors que la littérature libère. L’ex ministre Vinh rétorquait que les deux sont complémentaires. Il avait toujours raison...