Histoire du canal Funan Techo au Cambodge, avec Vincent Ricouleau, Professeur de droit

Voici quelques sources qui seront complétées au fur et à mesure concernant la construction du canal Funan Techo au Cambodge, notamment l'excellent article de Brice Pedroletti publié le 10 novembre 2024 dans le Monde.


Reproduction ci-dessous de l’article de Brice Pedroletti. .

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/10/le-mekong-un-fleuve-sous-l-emprise-de-la-chine_6385809_3210.html

L’empire du Milieu cherche à accroître son influence dans le bassin du grand fleuve, en multipliant les mégaprojets financés par ses soins et des complexes économiques dont il s’assure le contrôle. Ses alliés, comme le Cambodge et le Laos, le sollicitent, tandis que le Vietnam, proche des Etats-Unis, s’inquiète de cet activisme.

A quelques kilomètres en aval du port fluvial de Phnom Penh, le Mékong déroule sur la plaine un large ruban argenté gonflé par les pluies de la mousson. Là, près d’un étroit canal filant vers le sud, une immense banderole a été placardée sur une usine à grains. « Nous soutenons le canal Funan Techo »,proclame-t-elle, dans l’écriture arrondie du khmer. En ce début de mois d’octobre, seul un ouvrage existant a été sommairement élargi. C’est ce lieu qu’a pourtant choisi le premier ministre cambodgien, Hun Manet, pour inaugurer, le 5 août, le chantier du futur canal, qualifié de « monument vivant symbolisant la grandeur de l’ancien empire Funan » – nom chinois du premier royaume khmer, qui aurait existé entre le Ier et le VIIe siècle.

La date de l’inauguration, devenue jour férié, était celle du 72e anniversaire de Hun Sen, l’homme fort du Cambodge, qui, s’il a cédé le poste de premier ministre à son fils à l’été 2023, après l’avoir occupé pendant trente-huit ans, conserve un contrôle étroit sur les affaires de ce royaume de près de 17 millions d’habitants. « Techo » est l’un de ses titres honorifiques, signifiant « grand commandant ».

Le Funan Techo, d’un coût annoncé de 1,7 milliard de dollars (1,6 milliard d’euros), long de 180 kilomètres et d’une largeur pouvant atteindre 100 mètres, doit permettre – à terme – le passage de transporteurs dont le chargement maximal est de 3 000 tonnes jusqu’à Sihanoukville, seul port en eaux profondes du pays. Ainsi le Cambodge pourra-t-il « respirer par son propre nez », comme le martèlent les médias officiels – c’est-à-dire ne plus dépendre des ports vietnamiens du delta du Mékong pour le transport de ses marchandises.

Rarement simple projet de canal, pour ambitieux qu’il soit, aura suscité autant de spéculations en Asie du Sud-Est. L’implication pressentie d’une société d’Etat chinoise dans la construction et la gestion de ce projet suscite des inquiétudes quant aux ambitions stratégiques de Pékin dans la région du Mékong. Long de 4 350 kilomètres, le fleuve prend sa source dans les sommets tibétains de l’Himalaya en Chine sous le nom de Lancang, longe la Birmanie et la Thaïlande, parcourt le Laos sur toute sa longueur et traverse le Cambodge du nord au sud, avant de gagner le Vietnam, où il s’évanouit dans la torpeur d’un delta qui distribue ses eaux brunâtres dans le vert des rizières. Cinq pays riverains sur lesquels la Chine cherche depuis plus d’une décennie à accroître son emprise.

« Rendre ces pays plus dépendants »

Au nom de ce fleuve en partage, Pékin multiplie les initiatives au sein du mécanisme de coopération Lancang-Mekong Cooperation (LMC), créé par ses soins en 2016 et hébergé par le ministère chinois des affaires étrangères. Un sommet des chefs de la diplomatie des six pays concernés est organisé chaque année. La Chine y dispense de l’aide et des formations, ainsi que sa bonne parole : la « communauté de destin partagé » qu’elle entend forger avec les autres riverains du grand fleuve. « Le Mékong occupe une place stratégique pour Pékin,rappelle Simon Menet, auteur d’une étude en 2023 pour la Fondation de recherche stratégique (FRS) intitulée“Protéger, contrôler et façonner : la stratégie sécuritaire de la Chine dans le Mékong”. Le LMC est le format de coopération le plus abouti, le plus actif et le mieux doté de la région. C’est une sorte de laboratoire d’expérimentation des manœuvres d’influence chinoises. »

Par le Mékong, la Chine cherche à sécuriser son flanc sud-ouest, cette partie continentale de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), qui compte dix membres et dont font partie les cinq pays riverains du Mékong. Une préoccupation devenue impérative depuis que le grand rival américain a invité, en 2009, la Birmanie, le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam au sein de la Lower Mekong Initiative – un volet du pivot vers l’Asie mis en place par le président Barack Obama. « La coopération sur le Mékong est une manière pour la Chine de rendre ces pays plus dépendants d’elle, et de s’assurer qu’ils ne se rangent pas complètement derrière les Etats-Unis », estime Vanly Seng, un expert cambodgien indépendant.

Cette emprise passe par l’économie. Des « zones économiques spéciales » – sortes d’enclaves chinoises garanties par des baux de longue durée – ont essaimé au Laos, en Birmanie et au Cambodge, le long des « nouvelles routes de la soie », le projet de développement planétaire du président chinois, Xi Jinping, lancé en 2013. Des chemins de fer – au Laos (depuis 2022), en Thaïlande (en chantier), et bientôt au Vietnam – et de nombreuses routes sont également construits par des groupes chinois.

Cet activisme s’explique aussi par les enjeux liés à la mer de Chine méridionale. Pékin la revendique comme des eaux intérieures, au mépris des droits de cinq Etats membres de l’Asean (Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, Indonésie) à jouir de zones économiques exclusives jusqu’à 200 milles marins de leurs côtes. Le Mékong permet symboliquement à la Chine de les prendre en tenailles.

Expropriations

Pour autant, imposer la pax sinica sur les rives du plus long fleuve d’Asie du Sud-Est est un parcours semé d’embûches. La Thaïlande, alliée des Etats-Unis, fait semblant de coopérer sans rien lâcher, tandis que sa position à l’embouchure du Mékong autorise le Vietnam, éternellement méfiant à l’égard de la Chine, à garder ses distances. En revanche, ni la Birmanie, prise au piège de la guerre civile depuis 2021, ni le Laos, surendetté et dont Pékin siphonne les ressources naturelles, n’ont les moyens de résister aux offres chinoises en matière de sécurité ou de développement.

Dans la famille Mékong, le Cambodge représente pour la Chine sa plus belle prise, et le pays le plus enthousiaste vis-à-vis des « nouvelles routes de la soie » – au point de solliciter lui-même Pékin pour toujours plus de coopération. Le canal hautement stratégique Funan Techo ne donnera-t-il pas accès à la Chine, par le biais de ses futurs gestionnaires chinois, à la partie basse du Mékong, dans le dos du Vietnam ?

Loin de ces préoccupations géopolitiques, dans le village cambodgien de Chey Otdam II, qui s’étire à l’ombre des cocotiers sur la rive occidentale du fleuve, les habitants s’inquiètent des modalités de leur expropriation prochaine, imposée par le chantier à venir. « Nous soutenons le canal », précise prudemment Som Seun, vétéran de 70 ans, qui a perdu une jambe lors des combats contre les Khmers rouges, dans les années 1990, reprenant à son compte le slogan officiel. Avant d’ajouter : « On ne peut pas s’organiser, sinon on sera accusés de s’opposer au gouvernement. Notre seul espoir, c’est que les compensations soient justes. »

Le canal existant longe des terres fertiles où poussent bananes, mangues et galanga. Selon des habitants, des inspecteurs ont déjà marqué les limites du projet sur des arbres à 250 mètres de part et d’autre de l’actuel cours d’eau, ce qui indiquerait une emprise de 500 mètres de large sur cette portion. Officiellement, 2 300 foyers seront expropriés entre le Mékong et la province côtière de Kep, selon un décompte officiel établi en octobre.

Inquiétudes aux Etats-Unis et au Vietnam

Mis en place par Phnom Penh en mai 2023, le projet de canal Funan Techo a d’abord fait l’objet d’un accord d’intention sino-cambodgien, conclu à Pékin cinq mois plus tard, à l’occasion du Forum des nouvelles routes de la soie, auquel a participé le nouveau premier ministre, Hun Manet. Le groupe public China Road and Bridge Corporation (CRBC), très implanté au Cambodge, lançait alors une étude de faisabilité. Celle-ci est toujours en cours.

Les questions de rentabilité sont nombreuses. L’autoroute reliant Phnom Penh à Sihanoukville, construite en 2022 et gérée par le même groupe CRBC, demeure sous-utilisée, alors qu’elle était déjà censée faciliter le transport de conteneurs de la capitale jusqu’à la côte. « Toute une partie du tracé du canal est située dans des zones inondables en saison des pluies,note Brian Eyler, du Mekong Dam Monitor, une initiative du centre de recherche américain Stimson.On peut se demander si tous les coûts ont été calculés, sachant que les études d’experts sont pour le moins sommaires et manquent de transparence. » M. Eyler dénonce le fait que le Cambodge ait passé outre au mécanisme de consultation à quatre pays de la Mekong River Commission, chargée de coordonner la gestion et l’exploitation des eaux, en prétendant que le canal n’affecterait pas le cours principal du fleuve – une ineptie, selon lui.

Face aux inquiétudes qu’a suscitées l’annonce de ce « canal chinois », notamment au Vietnam et aux Etats-Unis, Phnom Penh a reconfiguré le projet pour minimiser la participation chinoise. Le premier tronçon de 21 kilomètres raccordé au Mékong serait finalement entièrement financé par des groupes cambodgiens. Quant au second, qui s’étend sur 159 kilomètres, du défluent Bassac jusqu’à la mer, il serait investi conjointement par les ports de Phnom Penh et de Sihanoukville et par la CRBC.

Mais, à la Chine, le Cambodge réclame des assurances. En septembre, la Commission nationale du développement et de la réforme, qui supervise les « nouvelles routes de la soie », s’est engagée à « encourager les entreprises chinoises impliquées dans le projet à terminer les travaux dans les délais » – une formule ambiguë. Or, Phnom Penh a déjà annoncé l’achèvement du canal en 2028 – soit l’année des prochaines élections législatives. « Hun Sen sait que la Chine a besoin du Cambodge,estime l’expert cambodgien Vanly Seng.C’est pourquoi il lui propose toujours davantage de projets. Mais Pékin, de son côté, doit faire attention aux coûts. Et ne pas décevoir Phnom Penh. »

« Opérations de logistique et de renseignement »

Au Cambodge, les groupes chinois construisent en général les infrastructures grâce à des financements maison, puis les gèrent en « concession » pour une durée de cinquante ans ou plus, avant de les transférer au pays hôte. Ce modèle, appelé « Build Operate Transfer », a l’avantage, aux yeux de Phnom Penh, de limiter son endettement. La Chine, elle, obtient la gestion en direct d’infrastructures stratégiques, ou de vastes zones économiques comme Dara Sakor, une région côtière à l’ouest de Sihanoukville, cédée en 2008 à une société chinoisepour quatre-vingt-dix-neuf ans. Les experts, notamment occidentaux, redoutent que ces installations remplissent une fonction duale : civile et, si besoin, militaire.

La question qui se pose alors est de savoir si la concentration des investissements chinois dans cette région ne viserait pas à protéger la base navale cambodgienne de Ream. Les images satellites montrent que la Chine l’a dotée, à partir de 2022, d’une nouvelle jetée, de bâtiments et de cales sèches. Des corvettes chinoises y sont visibles depuis décembre 2023.

La Constitution cambodgienne interdit certes toute base militaire étrangère sur le territoire national, mais Pékin a pu s’inspirer du dispositif qui, aux Philippines, donne accès aux troupes américaines en rotation à des bases modernisées par les Etats-Unis. « On soupçonne fortement la Chine de bénéficier d’un accès à une partie de la base de Ream, qui lui serait réservée pour des opérations de logistique et de renseignement, souligne Simon Menet, de la FRS. Cette présence peut aussi servir à renforcer les capacités du Cambodge en tant que proxy chinois. A partir du moment où Phnom Penh n’est plus passif, son rôle va dans le sens des intérêts de Pékin. » Au sein de l’Asean, le Cambodge sape en effet régulièrement toute action collective dirigée contre l’irrédentisme chinois en mer de Chine du Sud. Or, parmi les Etats membres de l’Asean en conflit avec Pékin dans ces eaux, le seul à être aussi riverain du Mékong est… le Vietnam, ce grand voisin honni du Cambodge.

A Phnom Penh, l’aide de Pékin à sa marine embryonnaire est perçue comme une aubaine. En septembre, le Cambodge a annoncé que deux corvettes de 1 500 tonnes et 90 mètres de long lui seraient offertes par la Chine. « Le Cambodge est situé entre deux grands pays [le Vietnam et la Thaïlande] qui ont toujours voulu [lui] prendre du territoire, explique Soy Sopheap, patron de médias progouvernementaux et président de l’Association des journalistes chinois et cambodgiens. Ils ne voudraient pas que [le Cambodge se] dot[e] d’une marine forte. » « Alors, sur qui pourrait-on compter ? Certainement pas sur Washington », poursuit-il. Les Etats-Unis, alliés de la Thaïlande, cherchent aussi à renforcer leurs liens avec le Vietnam.


La visite officielle de Hun Manet à Pékin, en septembre 2023, un mois après son investiture, semble parachever l’entente politique avec la Chine, qui avait permis à son père de neutraliser toute opposition démocratique au Cambodge lors des élections de 2018 et de 2023. Signée lors de son déplacement, la déclaration conjointe Chine-Cambodge annonce ainsi la « ferme opposition[des deux pays]à l’ingérence dans leurs affaires intérieures sous le couvert des droits humains ou de la démocratie » et qu’il « convient de renforcer la coopération contre les révolutions de couleur ».

Impact sur la sécurité alimentaire

Quittons le Cambodge pour une autre rive du Mékong, plus de 1 500 kilomètres en amont. A Chiang Khong, une bourgade thaïlandaise de la province de Chiang Rai, le militant de l’environnement Niwat Roykaew, surnommé « maître Thi », tient son quartier général au bord du grand fleuve, face au Laos : la Mekong School, une maison en bois dont les murs sont recouverts de slogans contre les barrages (la Chine en a construit onze sur sa section du fleuve).

Cheveux gris noués en catogan et barbichette lui donnant une allure de samouraï, le septuagénaire mène un combat au long cours contre les projets chinois de dynamitage des rapides de Chiang Khong qui restreignent la navigation aux barges de petites tailles. La Chine, qui a déjà aménagé le Mékong entre la Birmanie et le Laos, avait proposé ses services à la Thaïlande, au début des années 2000. En vain : « maître Thi » et les pêcheurs locaux avaient alors arraisonné le bateau chinois venu sonder le lit du fleuve.

Mais, en 2017, ce projet a été ressuscité par les généraux thaïlandais qui s’étaient tournés vers Pékin après la condamnation occidentale, et surtout américaine, de leur coup d’Etat de 2014. Les « nouvelles routes de la soie », lancées un an plus tôt, étaient le projet du moment : « l’idée était de créer des hubs logistiques et d’améliorer le commerce fluvial », explique « maître Thi ». A la manœuvre, une filiale du géant public chinois China Communications Construction Company, la maison mère de la… CRBC. Un jour, des ingénieurs chinois ont rendu visite au militant : « Ils m’ont expliqué que le Mékong était notre “route” commune à tous, que c’était bon pour l’économie, que ça profiterait à tout le monde. Je leur ai répondu : “Le Mékong n’est pas une route ! Et ce n’est pas que de l’eau. C’est de la vie ! C’est de la culture !” »

A l’époque, « maître Thi » avait mobilisé les habitants pour organiser des manifestations, malgré la loi martiale. Convoqué par les militaires dans leur base à Chiang Rai, il leur exposa les dommages que peut créer la disparition des rapides – nécessaires à la fraie des poissons et à la croissance d’algues très prisées. En détruisant les îles, le chantier risquait aussi de modifier le cours du Mékong, donc de la frontière qu’il forme entre Laos et Thaïlande, précisa-t-il. Or, la Thaïlande n’accède au fleuve qu’en partage avec le Laos, un pays considéré à Bangkok comme vassalisé par la Chine. En 2020, le gouvernement thaïlandais avait remisé le projet.« Jusqu’à quand ? », s’interroge en soupirant « maître Thi ». Les rapides de Chiang Khong sont désormais menacés par deux projets de barrage au Laos.

La Thaïlande a gardé un mauvais souvenir de la « diplomatie de la canonnière » menée par la France coloniale. En 1893, les navires de guerre français postés à l’embouchure du fleuve Chao Phraya avaient imposé un blocus total sur Bangkok, jusqu’à obtenir la cession de tous ses territoires situés sur la rive gauche du Mékong. Aujourd’hui, la Chine est littéralement à ses portes : des bateaux de police chinois lourdement armés patrouillent à une cinquantaine de kilomètres en amont, au milieu du Mékong, là où l’intersection des frontières entre Birmanie, Laos et Thaïlande forme la pointe du fameux Triangle d’or, l’épicentre mondial du trafic d’opium.


Ces opérations de surveillance fluviale ont commencé en 2011, l’année du meurtre de 13 matelots chinois à bord de deux cargos descendant le Mékong. La Chine, scandalisée, avait aussitôt traqué le responsable présumé, Naw Kham, un trafiquant de drogue originaire de l’Etat Shan, en Birmanie. Fait embarrassant, l’enquête avait relevé que ce dernier aurait reçu l’assistance de soldats thaïlandais corrompus pour mener sa macabre entreprise.

Après avoir arrêté et exécuté le chef mafieux, la Chine imposa au Laos, à la Birmanie et à la Thaïlande des patrouilles « conjointes », sur leurs parties communes du Mékong. Les deux premiers pays, sous-équipés, ont accepté. La Thaïlande a obtenu de mener seule des missions de surveillance en aval du Triangle d’or – bloquant de facto toute incursion chinoise le long de sa frontière avec le Laos.

Depuis, face à la Thaïlande, une fraction de la partie laotienne du Triangle d’or est devenue la « zone économique spéciale du Triangle d’or ».Une stupéfiante ville chinoise y est sortie de terre, autour d’un casino en forme de fleur aux pétales d’or. Son promoteur, un magnat du jeu chinois du nom de Zhao Wei, l’a dotée d’un aéroport et d’un port de marchandises où accostent les cargos descendant le Mékong depuis la Chine sous la protection de patrouilleurs chinois…

Jusqu’à présent, ce vieux caïd qui joue les obligés de Pékin a été épargné par les opérations policières chinoises, parfois extraterritoriales, visant le crime organisé chinois en Asie du Sud-Est. Les raids qui ont conduit, en 2022 et 2023, au rapatriement en Chine de dizaines de milliers de « petites mains » chinoises de la fraude en ligne, basées en Birmanie, au Laos et au Cambodge, n’ont pas affecté ses affaires. Et pour cause : ils sont très sélectifs.

Ces zones grises sous influence chinoise entrent pourtant dans l’équation géopolitique qui sous-tend la relation entre Pékin et Washington, car les citoyens américains sont de plus en plus souvent victimes de la cyberfraude en provenance d’Asie du Sud-Est. Pour y remédier, les Etats-Unis ont infligé, le 12 septembre, des sanctions à l’encontre de l’oligarque cambodgien Ly Yong Phat, très proche de Hun Sen, accusé de graves violations des droits humains liées au travail forcé dans des opérations d’escroquerie en ligne. En 2018, ils avaient inscrit sur leur liste noire… Zhao Wei, le « parrain » du Triangle d’or au Laos, puis, en 2020, les promoteurs chinois de Dara Sakor, dans le sud du Cambodge, déclarant qu’il existait des « informations crédibles » selon lesquelles ce complexe pourrait être utilisé pour accueillir des ressources militaires chinoises.

En accédant au Mékong par le sud, via le canal Funan Techo, jusqu’où ira la Chine ? Pour remonter le fleuve depuis Phnom Penh jusqu’au Laos, il faudrait faire sauter, du moins symboliquement, le verrou que constituent les plus larges cascades du monde, côté laotien de la frontière avec le Cambodge – pour l’heure infranchissables. En 1893, la France coloniale y avait construit un chemin de fer de 7 kilomètres le long de deux îles laotiennes, pour y hisser ses canonnières. Sa folle ambition était alors d’atteindre la Chine par le Yunnan, grâce au Mékong.

On ne conquiert certes plus un pays au moyen de canonnières. Mais si celles-ci prenaient la forme de projets économiques ? En amont des chutes, la province méridionale de Champassak, au Laos, a elle aussi cédé pour cinquante ans, en 2018, un vaste territoire à une mystérieuse société de Hongkong. Le projet prévoit 35 hôtels cinq étoiles et un casino, pour un coût estimé à 9 milliards de dollars…

Soy Sopheap, le patron de presse cambodgien prochinois de Phnom Penh, a une idée. « Lors de mon dernier voyage en Chine, j’ai plaidé pour que la Chine finance dès que possible un pont [sur un bras du Mékong]entre Laos et Cambodge, expose-t-il. On pourra faire venir des conteneurs de la Chine, via Vientiane », la capitale laotienne, reliée à la ville chinoise de Kunming, au Yunnan, par un nouveau train chinois. L’homme est en tout cas déterminé à voir passer les « nouvelles routes de la soie » chinoises là où les Français ont jadis échoué.

Autres sources :

Protéger, contrôler et façonner : la stratégie sécuritaire de la Chine dans le Mékong. Fondation pour la recherche stratégique.

https://www.frstrategie.org/publications/recherches-et-documents/proteger-controler-faconner-strategie-securitaire-chine-dans-mekong-2023

Asean Briefing

https://www.aseanbriefing.com/news/the-funan-techo-canal-cambodias-ambitious-inland-waterway-project/

Voici l’opinion de Sam Rainsy, dans un article publié dans Gavroche.

https://www.gavroche-thailande.com/cambodge-chantier-sam-rainsy-detaille-le-projet-de-canal-funan-techo/

Plans announced for Phase 2 of the Funan Techo Canal Project

May 8, 2025 | 

https://southeastasiainfra.com/plans-announced-for-phase-2-of-the-funan-techo-canal-project/

The murky waters of Cambodia’s Funan Techo Canal

Grace Stanhope Hannah Buckley

A 180-kilometre waterway to criss-cross the country, but who pays?

https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/murky-waters-cambodia-s-funan-techo-canal

Weaknesses in Mekong River Governance: The Case of the Funan Techo Canal

https://fulcrum.sg/weaknesses-in-mekong-river-governance-the-case-of-the-funan-techo-canal/

The Diplomat

The Geopolitics of Cambodia’s Funan Techo Canal

With its potential to foster Chinese-backed economic enclaves and military installations, the canal poses a foreseeable challenge to Vietnam’s national security.

By Nguyen Minh Quang and James Borton

https://thediplomat.com/2024/08/the-geopolitics-of-cambodias-funan-techo-canal/


Droit, histoire, géopolitique en Asie et ailleurs

Par Vincent RICOULEAU

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